La formation au prisme des inégalités sociologiques des élèves : une approche par la diversité des publics
Notre contribution propose une mise en perspective du rapport social qu’entretiennent de futur.e.s enseignant.e.s du primaire à la diversité des publics et au traitement des inégalités dans le milieu scolaire à Genève. Comme le soulignent Allan (2010), ainsi que Tutiaux-Guillon et Verhoeven (2018), un consensus international semble se dégager quant à la nécessité de développer chez les membres du personnel scolaire des compétences antidiscriminatoires et inclusives. La Suisse adhère à ce consensus et la formation à de telles compétences se retrouve au cœur des pratiques de formation depuis les années 1990 (Mottet et Sanchez-Mazas, 2021 ; Potvin, Dhume, Verhoeven et Ogay, 2018), même si son opérationnalité, une fois l’entrée dans le métier effectuée, reste problématique (Jacobs, 2018) et peu étudiée. Par ailleurs, alors que les recherches continuent de montrer que les jeunes issus de la migration, qu’ils soient primo-arrivants ou de migrations plus anciennes, connaissent toujours d’importantes inégalités d’orientation ou de réussite scolaires (Gomensoro et Bolzman, 2016 ; Armagnague, 2019 ; Stevens et Dworkin, 2019), il demeure très délicat d’aborder de front le problème des discriminations effectives avec les acteurs scolaires. Notre contribution vise à présenter en deux temps notre posture de formation dans un contexte genevois où la diversité des publics scolaires est quantitativement importante (environ 40% d’élèves issus de la migration et/ou d’élèves de milieu modeste ou défavorisé selon les territoires). Premièrement, partant de données d’une recherche menée auprès d’une volée d’étudiant.e.s à la formation de l’enseignement primaire à Genève, nous présenterons une analyse des représentations qu’ils ont des compétences professionnelles spécifiques à développer pour enseigner dans des contextes culturellement hétérogènes. Nous verrons quelles compétences les futur.e.s professionnel.le.s pensent nécessaire de développer et pourquoi. En outre, sachant que les caractéristiques sociologiques des professionnel.le.s sont également très hétérogènes, nous verrons si les représentations des compétences à promouvoir se différencient entre eux et si oui, comment. Deuxièmement, nous aborderons la question de la formation aux inégalités scolaires à partir de l’analyse de situations complexes relevées par les étudiant.e.s sur le terrain scolaire. Partant, d’éléments concrets et observables pour les étudiant.e.s, ceux-ci sont amenés à en saisir les enjeux qui impactent les différents acteurs concernés et à développer une analyse critique sur les modalités d’action. Nous verrons que nous inscrivons notre posture de formation à la suite de bien d’autres instituts de formation (en France, au Québec, en Belgique), cherchant à former des « praticiens réflexifs » (Schön, 1994), ainsi qu’à favoriser le développement d’une compréhension sociopolitique et historicisée des inégalités sociales et des systèmes d’oppression (Potvin et Larochelle-Audet, 2016).

Le Forum mondial sur l’éducation, tenu en mai 2015 à Incheon sous l’égide de l’UNESCO et ses partenaires, s’est conclu par la Déclaration d’Incheon pour l’Éducation 2030, un engagement historique de transformer la vie grâce à une nouvelle vision de l’éducation et à des actions courageuses et innovantes pour la réaliser. Le Cadre d’action Éducation 2030, qui établit cette nouvelle vision de l’éducation pour les 15 années à venir, a été adopté par plus de 180 états membres de l’UNESCO. Quatre ans plus tard, à la 9e Réunion mondiale de la Consultation collective des ONG pour Éducation 2030 (CCONG-Éducation 2030), qui s’est tenue en Tunisie en 2019, les organisations participantes ont affirmé que le monde est confronté à une crise éducative, causée par un manque de volonté politique, une faible priorisation de l’éducation et un financement insuffisant. De plus, elles ont constaté une tendance croissante à la commercialisation de l’éducation, ce qui contribue à creuser davantage les inégalités. Les systèmes éducatifs mondiaux ne semblaient pas respecter l’engagement pris dans le programme Éducation 2030. Le ministre de l’Éducation de la Tunisie d’alors avait, à la même occasion, souligné que la plupart des pays n’avancent pas suffisamment pour atteindre les objectifs fixés pour 2030. Il a appelé à une reconnaissance de l’importance stratégique de l’éducation pour toutes les nations et a encouragé la société civile à jouer un rôle majeur dans la mobilisation pour y parvenir.