L’éducation spéciale au Maroc : effets positifs ou effets pervers ?
La politique de la prise en charge des personnes en situations de handicap au Maroc répond à deux objectifs : i. promouvoir le principe d’égalité des chances pour tous les citoyens, ii. Honorer l’engagement du Maroc en signant la charte internationale de l’enfance. Depuis son indépendance, le Maroc a entrepris différentes réformes dans le domaine de l’éducation et la formation. La dernière couvre la période 2015-2030. Elle a intégré les impératifs et recommandations internationales notamment en matière d’éducation inclusive, dont l’esprit est de donner à chacun une chance quelles qu’en soient ses aptitudes dans une vision de justice sociale et d’égalité des chances.
Nous avons mené plusieurs études visant à documenter l’esprit et le contexte de l’éducation spéciale Au Maroc. Après avoir cerné la perception du handicap dans la société marocaine, nous nous sommes intéressé à une structure avec des classes d’intégration. Nous avons constaté que les résultats obtenus étaient en deçà des attentes des parents dépassaient. Ils s‘attendaient à un passage par ces classes permettant de remettre leurs enfants dans le circuit scolaire normal. Pour les enseignants, la déception des parents viendrait du manque de moyens (matériel, manque de formation, … etc.) dont ils disposent pour accomplir leur mission. Ils pointent également l’implication insuffisante de certains parents dans le projet pédagogique de leurs enfants. Les lacunes dans la formation ; voire l’absence de formation des enseignants transparaissent sur le terrain à travers l’absence de démarche pédagogique efficace. Cette réalité a été illustrée par deux études de cas qui ont montré l’importance d’une équipe pluridisciplinaire pour atteindre l’objectif d’une véritable acquisition de compétences par l’enfant, à commencer par poser le bon diagnostic sur son état. Dans une dernière étude, nous avons dégagé un répertoire de compétences d’enfants accueillis dans une structure toujours à visée d’intégration. Il en est sorti que l’acquisition de compétences des enfants en situation de handicap dépend de plusieurs déterminants.
Au-delà des limitations liées au handicap per se, la qualité des enseignants, la dynamique propre à la structure d’accueil, l’implication des parents et les moyens de toutes natures donnés par l’état et/ou la collectivité influence, à des degrés divers, les résultats obtenus. Sur ce paysage peu réjouissant, le ministère a décrété récemment le passage vers un enseignement inclusif afin de suivre le mouvement international. D’après la réalité locale que nous avons approchée, un passage « sans précaution » vers un enseignement inclusif augmente le risque d‘une marginalisation des enfants en situation de handicap. Des classes surchargées, des enseignants non sensibilisés aux handicaps sont deux facteurs qui ne laissent envisager que des effets pervers d’une mauvaise bonne intention.
Mots clés : Situation de handicap ; Enseignement intégré ; Enseignement inclusif ; Éducation spéciale au Maroc.

Le Forum mondial sur l’éducation, tenu en mai 2015 à Incheon sous l’égide de l’UNESCO et ses partenaires, s’est conclu par la Déclaration d’Incheon pour l’Éducation 2030, un engagement historique de transformer la vie grâce à une nouvelle vision de l’éducation et à des actions courageuses et innovantes pour la réaliser. Le Cadre d’action Éducation 2030, qui établit cette nouvelle vision de l’éducation pour les 15 années à venir, a été adopté par plus de 180 états membres de l’UNESCO. Quatre ans plus tard, à la 9e Réunion mondiale de la Consultation collective des ONG pour Éducation 2030 (CCONG-Éducation 2030), qui s’est tenue en Tunisie en 2019, les organisations participantes ont affirmé que le monde est confronté à une crise éducative, causée par un manque de volonté politique, une faible priorisation de l’éducation et un financement insuffisant. De plus, elles ont constaté une tendance croissante à la commercialisation de l’éducation, ce qui contribue à creuser davantage les inégalités. Les systèmes éducatifs mondiaux ne semblaient pas respecter l’engagement pris dans le programme Éducation 2030. Le ministre de l’Éducation de la Tunisie d’alors avait, à la même occasion, souligné que la plupart des pays n’avancent pas suffisamment pour atteindre les objectifs fixés pour 2030. Il a appelé à une reconnaissance de l’importance stratégique de l’éducation pour toutes les nations et a encouragé la société civile à jouer un rôle majeur dans la mobilisation pour y parvenir.