L’enseignement de l'Histoire et Éducation à la citoyenneté : Vers une pensée critique et une justice sociale
Les recherches montrent que plusieurs pratiques scolaires présentent l’histoire comme l’application de techniques (lecture de sources, fact-checking, etc.) et la mémorisation de faits immuables découverts dans des documents qui existent tels quels, plutôt que comme le produit contestable de l’interprétation disciplinée des historiens (Demers, 2012 ; Lanoix, 2019, Lanoix & Meunier, 2021).
Certes, enseigner une telle histoire non problématisée peut renforcer la solidarité avec les acteurs historiques membres de groupes sociaux dominants et l’idée qu’ils mènent la marche vers le progrès, plutôt que de développer une compréhension plus critique et nuancée de l’agentivité historique. Mais cela peut aussi inhiber la pensée historique, car les élèves sont alors davantage déconnectés des processus disciplinaires impliqués dans la construction de la connaissance historique (VanSledright 2002). Comme le soulignent Levstik et Barton (2005), la mémorisation ne contribue guère à la compréhension conceptuelle, à l’organisation des concepts en vue de leur utilisation dans l’interprétation des phénomènes sociaux ou à la compréhension de la nature complexe et plurielle de l’histoire. Pour favoriser la réflexion et leur compréhension historiques des élèves, il est nécessaire de les engager à problématiser une diversité de perspectives et de sources, et à reconstruire des phénomènes historiques. Cela pourrait être une contribution cruciale de l’enseignement de l’histoire à la pensée critique et à la citoyenneté.
Les programmes d’éducation civique dans le monde sont souvent considérés comme une solution aux problèmes d’identité sociale, d’inégalité socioéconomique, d’apathie politique et de cynisme.
Cependant, la question demeure : ces programmes visent-ils à former des citoyens capables de justice et de réciprocité ou les apaisent-ils en prétendant que l’école peut développer la pensée critique et limitent-ils ainsi leur capacité à remettre en question les inégalités structurelles et à changer les sociétés capitalistes ? L’éducation à la citoyenneté dans le système scolaire public québécois vise-t-elle à transformer les citoyens en adhérents inconditionnels du système capitaliste ? Par quels moyens les citoyens peuvent-ils s’outiller pour émanciper l’humanité ?
Nous examinerons les objectifs de justice sociale décrits dans le programme québécois d’éducation à la citoyenneté (subsumé sous l’enseignement de l’histoire) en relation avec les questions qu’il cherche à aborder. Nous analyserons le programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté et décrirons les compétences spécifiques au domaine qui forment le cœur du programme. En suivant une typologie bien connue fournie par Westheimer et Kahne (2004), nous évaluerons les pratiques sociales du domaine politique que le programme promeut. Nous examinerons également la structure de l’école en tant que moyen qui génère des relations de subordination entre les élèves, entre les enseignants et les élèves, et entre les enseignants, les élèves et l’institution scolaire.
Cette communication vise à déterminer si le système scolaire québécois peut fournir aux citoyens les compétences nécessaires à une praxis politique transformatrice et, en fin de compte, à explorer les moyens de mettre fin à la reproduction systémique de l’injustice.

Le Forum mondial sur l’éducation, tenu en mai 2015 à Incheon sous l’égide de l’UNESCO et ses partenaires, s’est conclu par la Déclaration d’Incheon pour l’Éducation 2030, un engagement historique de transformer la vie grâce à une nouvelle vision de l’éducation et à des actions courageuses et innovantes pour la réaliser. Le Cadre d’action Éducation 2030, qui établit cette nouvelle vision de l’éducation pour les 15 années à venir, a été adopté par plus de 180 états membres de l’UNESCO. Quatre ans plus tard, à la 9e Réunion mondiale de la Consultation collective des ONG pour Éducation 2030 (CCONG-Éducation 2030), qui s’est tenue en Tunisie en 2019, les organisations participantes ont affirmé que le monde est confronté à une crise éducative, causée par un manque de volonté politique, une faible priorisation de l’éducation et un financement insuffisant. De plus, elles ont constaté une tendance croissante à la commercialisation de l’éducation, ce qui contribue à creuser davantage les inégalités. Les systèmes éducatifs mondiaux ne semblaient pas respecter l’engagement pris dans le programme Éducation 2030. Le ministre de l’Éducation de la Tunisie d’alors avait, à la même occasion, souligné que la plupart des pays n’avancent pas suffisamment pour atteindre les objectifs fixés pour 2030. Il a appelé à une reconnaissance de l’importance stratégique de l’éducation pour toutes les nations et a encouragé la société civile à jouer un rôle majeur dans la mobilisation pour y parvenir.