Quelle approche pour une formation du personnel enseignant aux inégalités en contexte de crise au Liban?
Cette communication s’inscrit dans le premier objectif du symposium. Elle vise à explorer, dans le contexte libanais, de quelle manière la formation du personnel enseignant a été pensée, mise en œuvre, puis repensée à la lumière des besoins et des changements rapides qu’a connu le milieu éducatif au Liban. Depuis l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, la situation socioéconomique et politique continue à se dégrader, ce qui a effectivement des répercussions sur le secteur éducatif, surtout sur le secteur public. Dans le but de briser les cycles de misère et de détérioration que connait ce secteur « en crise », une initiative communautaire, Khaddit Beirut, a été lancée pour soutenir l’éducation au Liban. Ainsi, six écoles publiques de Beyrouth qui ont été directement affectées par l’explosion ont accepté de prendre part à Khaddit Beirut. Dans ce cadre, une sous-initiative, Musharaka, s’est développée pour soutenir l’une des écoles participantes, et ce, selon une approche collaborative et de co-mentorat. S’inspirant des groupes de discussion et d’analyse de pratiques professionnelles (Robo, 2002) ainsi que de l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir (Le Bossé et al., 2002), des séances hebdomadaires d’analyse réflexive d’environ 60 minutes ont été planifiées pour accompagner huit enseignantes. Les séances ont débuté en février 2022 et se sont déroulées de manière intermittente jusqu’en octobre 2022, puis chaque semaine jusqu’en mai 2023. Ces séances avaient deux objectifs principaux. Premièrement, sur le plan pédagogique, elles visaient à former les enseignantes pour qu’elles prennent conscience de leurs pratiques et de leurs perceptions de leurs pratiques, et à les outiller pour qu’elles s’adaptent aux besoins du milieu et à ceux de leurs élèves. Deuxièmement, sur le plan social et personnel, les séances se voulaient un espace de négociation et de dialogue pour conscientiser les enseignantes quant à leurs droits et aux enjeux systémiques qui mènent aux inégalités sociales et scolaires. Chaque séance a été dirigée de manière informelle par une enseignante qui discutait d’une préoccupation ou d’un problème ou partageait de bonnes pratiques, favorisant ainsi des discussions centrées sur le développement des pratiques et menant à une réflexion et à une autorégulation. Toutes les séances ont été guidées par une coach de Musharaka qui agissait surtout en tant que facilitatrice et se concentrait sur la réflexion des enseignantes. Dans cette communication, nous présenterons l’approche mise en place et la manière dont cette approche a été coconstruite selon l’apport des enseignantes et le changement du contexte sociopolitique et des conditions du travail (Tardif, 2013). Nous partagerons nos observations du terrain portant sur l’engagement des enseignantes et sur la qualité de leur participation, et nous discuterons de quelques résultats, en particulier l’effet de la crise sur le discours et sur les pratiques professionnelles des enseignantes ainsi que sur le changement de leurs perceptions de leur rôle et de leur agentivité. Finalement, nous discuterons des limites de cette approche et des pistes de développement pour une formation aux inégalités en contexte de crise, dans une perspective d’équité et de justice sociale.